🕊️ L’aide médicale à mourir : une mort idéale… vraiment?
Et si notre système n’était pas encore prêt à accompagner pleinement ce choix?
On dit souvent que l’aide médicale à mourir (AMM) représente la plus belle des morts.
Une mort douce, choisie, sans souffrance.
Une mort libre.
Mais plus j’accompagne des personnes en fin de vie, plus je réalise à quel point cette vision est incomplète.
Oui, ce choix peut être profondément libérateur pour certaines personnes.
Mais est-ce que notre système de santé, nos ressources et notre rapport à la mort permettent réellement à tous de vivre ce passage avec humanité, présence et sens?
Je ne crois pas.
Un système sans fil conducteur humain
L’aide médicale à mourir repose sur un processus administratif et médical rigoureux.
Sur papier, tout semble clair : critères d’admissibilité, formulaires à remplir, approbations à obtenir.
Mais dans la réalité, le parcours est souvent déroutant, solitaire et peu soutenu émotionnellement.
Aucune ligne directe pour poser ses questions.
Peu d’informations accessibles et humaines pour comprendre les étapes.
Des équipes souvent débordées, qui font de leur mieux dans un système saturé.
Et parfois, ce sont de jeunes professionnels, pour qui c’est la première expérience d’un accompagnement de fin de vie. Ils sont pleins de bonne volonté, mais manquent de repères, d’expérience ou de formation spécifique.
Je le répète : tous font de leur mieux, au mieux de leurs connaissances, de leurs moyens, de leur cœur. Mais ce n’est pas suffisant. Pas parce qu’ils ne sont pas compétents, mais parce qu’il manque souvent de temps et d’un fil conducteur humain : un accompagnement global qui tisse le lien entre la dimension médicale et la dimension émotionnelle, relationnelle.
Sont-ils vraiment « prêts »?
On entend souvent dire : « Quand une personne fait ce choix, c’est qu’elle est prête. »
Mais est-ce toujours vrai?
ĂŠtre prĂŞt ne veut pas dire ne plus avoir peur.
Ce n’est pas parce qu’on choisit de mourir qu’on n’a plus de question, plus d’émotion, plus de doute.
Et pourtant, notre système ne prévoit presque aucun espace pour discuter de ces enjeux.
Aucune place pour dire : « Je suis certaine de mon choix, mais j’ai peur quand même. »
Comme si, une fois la décision prise, toute ambivalence devait disparaître afin de ne pas se faire refuser sa demande.
Mais la mort, même choisie, reste un mystère.
Et il est normal d’en être ébranlé.
Et pour les proches?
LĂ encore, le soutien est fragile.
Certains vivent de magnifiques moments : des rituels touchants, des échanges sincères, une paix partagée. Parce qu’ils sont à l’aise à créer ce genre de moments ou qu’ils sont accompagnés pour le faire.
Mais il y a aussi des histoires plus douloureuses. Des familles désorientées, mal préparées, qui ne savent pas comment vivre ces derniers instants autrement qu’à travers un protocole médical.
Comment faire de ces moments des moments humains, et non simplement une injection planifiée?
Comment aider les proches à se préparer émotionnellement, à comprendre le sens de ce geste, à créer un souvenir apaisant plutôt qu’un vide?
Ces questions restent trop souvent sans réponse, faute d’accompagnement adapté.
Et c’est là que le rôle d’un accompagnement prend tout son sens : offrir une présence, une écoute, une guidance à travers ce passage, pour que la mort ne soit pas seulement un acte, mais une traversée consciente et apaisée.
Les médias et certains documentaires nous montrent parfois des fins de vie magnifiques : une personne qui choisit un lieu unique, entourée d’amis, de musique, de fleurs.
C’est beau, inspirant.
Mais cela peut aussi créer une nouvelle pression : celle de mourir “parfaitement”.
Et qu’en est-il des personnes qui ne veulent pas d’un grand rituel, mais simplement d’un départ discret?
Est-ce moins valable?
Et celles qui sont seules, ou qui n’ont qu’un proche à leurs côtés , leur expérience est-elle moins belle?
Mourir devrait toujours être un choix personnel, intime, respecté dans sa simplicité ou sa grandeur.
Mais pour cela, encore faut-il être accompagné, entendu, soutenu dans ce que l’on souhaite vraiment et non pas dans ce qui est projeté comme étant “l’idéal”.
Et si le problème était plus profond?
Une question me traverse souvent :
si nos milieux de soins étaient davantage humains, chaleureux, soutenants… y aurait-il autant de demandes d’aide médicale à mourir?
Je ne parle pas ici des personnes qui choisissent l’AMM à cause d’une souffrance intolérable et irréversible, leur décision est légitime et profondément personnelle.
Mais qu’en est-il de celles qui disent :
« Je ne veux pas finir dans un CHSLD. »
Cette phrase, je l’entends souvent.
Et elle me bouleverse.
Non pas parce qu’elle traduit un refus de la vie, mais parce qu’elle révèle la peur du système : la peur d’être délaissé, d’être oublié, d’être soigné par notre système…
Les gens qui travaillent dans ces milieux sont, pour la plupart, extraordinaires ,dévoués, sensibles, à bout de souffle.
Mais le système ne les soutient pas.
Il ne leur donne pas les moyens d’offrir l’attention, le temps et la présence humaine que chaque personne mérite à la fin de sa vie.
Le vieillissement de la population est une réalité inévitable, et les coûts liés à la fin de vie ne feront qu’augmenter.
Nous pouvons choisir de voir cela comme un fardeau… ou comme une invitation à faire autrement : à repenser nos priorités, nos milieux de soins et notre rapport à la mort.
Pour trouver des façons à la fois humaines et durables de soutenir nos aînés, tout en redonnant à la fin de vie son caractère sacré.
Et maintenant : les demandes anticipées d’aide médicale à mourir
Alors que les demandes anticipées pour l’aide médicale à mourir commencent à être appliquées, je ne peux m’empêcher de me questionner :
sommes-nous prĂŞts?
Nous ne maîtrisons pas encore pleinement l’accompagnement d’une demande contemporaine, celle d’une personne consciente, présente, qui choisit sa fin.
Comment pourrons-nous accompagner avec justesse une demande déposée des mois ou des années à l’avance?
Comment garantir que le choix d’hier respectera encore la réalité d’aujourd’hui?
Et surtout, comment s’assurer que le processus restera humain, empreint de sens, de respect et de conscience?
Le défi est immense.
Et sans un véritable ancrage dans l’écoute, la formation et la présence, nous risquons de transformer un geste d’autonomie en une procédure impersonnelle.
Pour une mort plus humaine, quel que soit le choix
L’aide médicale à mourir peut être une mort douce, belle, apaisée.
Mais elle ne devrait jamais être seulement un acte médical.
Elle mérite d’être accompagnée, entourée, préparée.
Les personnes qui font ce choix, et leurs proches, méritent d’avoir accès à du soutien, à de l’information claire, à des espaces de parole sincères.
Elles méritent de comprendre, de ressentir, de traverser ce passage avec humanité.
Parce qu’au fond, ce n’est pas la mort qu’il faut apprivoiser.
C’est la manière dont on y arrive.
Et si la véritable dignité ne se trouvait pas seulement dans la façon dont on meurt,
mais dans la façon dont on est accompagné pour y arriver?